"Partir, c'est mourir un peu, / C'est mourir à ce qu'on aime :

On laisse un peu de soi-même / En toute heure et dans tout lieu."

(Extrait du Rondel de l'adieu d'Edmond Haraucourt)

Ces temps-ci, entre anniversaires, réveillons et autres réjouissances dont je reçois les échos depuis le lointain Occident, les occasions ne manquent pas de sentir vibrer cette partie de moi-même laissée parmi vous. Une vibration complexe, à la fois prévue et aliénante, comme si je vivais deux ici et maintenant. Piqué par une telle sensation, je me prends à rejouer en mémoire cette musique à deux voix, tantôt mélodieuse, tantôt cacophonique, sortie d'un même instrument. Je m'efforce de démêler les accords de chacune, j'en détache les arpèges, j'en isole les phrases, et c'est bientôt tout un solfège qui se présente, riche et utile, pour me rappeler que la suite reste à écrire ou à improviser.

Bien sûr il n'y a là rien de nouveau. Rien qui n'ait été vécu, décrit, écrit, peint, chanté déjà. Rien même dont je n'aie fait personnellement l'expérience. Et pourtant ! quelle intensité dans ces moments où l'on embrasse d'un seul regard, bien qu'isolées les unes des autres, les plus heureuses parts de ce qu'on a semé de soi ! Rendu à chacune par une égale tendresse que nulle nostalgie ne gâte, on redécouvre l'envie de revenir à elles, de les arroser pour en cueillir de nouveaux fruits. Et tout cela semble soudain si facilement réalisable qu'on s'en sent la force et le devoir. Instant de grâce où partir, c'est revivre un peu et renaître à ce qu'on aime : on retrouve un peu de soi-même en toute heure et dans tout lieu.